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Il était une fois un
vieil homme qui vivait avec sa vieille femme.
Ils n'avaient pas eu d'enfants, mais ils en
avaient adopté un. Quand leur fils adoptif fut
devenu grand, les gens l'obligèrent à partir de
chez eux. Il alla par les routes et les chemins,
et il rencontra un vieil homme qui lui demanda:
- Où vas-tu, bon gaillard?
- Je vais là où mon regard se porte, sans le
savoir moi-même. Je vivais chez de bons vieux,
j'étais comme leur fils, mais je n'ai pas eu le
choix, on m'a forcé à les quitter.
- Je te plains, bon gaillard! - répondit le
vieux - Mais prends cette bride et va vers ce
lac. Là-bas, tu verras un arbre, escalade-le et
cache-toi dans son feuillage. Soixante-dix sept
juments accourront, elles boiront, elles
mangeront, elles se rouleront dans l'herbe et
ensuite elles repartiront. Et un petit cheval
bossu viendra. Marche alors tout autour de lui,
mets lui la bride, puis va où il te plaira.
Le fils adoptif prit la bride. Comme on lui avait dit, il
fit le tour du petit cheval puis il s'assit sur
son dos et se mit en chemin. Il alla par ci, il
alla par là. Il alla de ci, il alla de là. Et il
aperçut sur une haute montagne quelque chose qui
étincelait, comme un feu qui brûle. Il monta là-haut
et découvrit une plume merveilleuse. Il
descendit de cheval et voulut ramasser la plume.
Le petit cheval bossu lui dit:
- Ne prends pas cette plume, bon gaillard, par
elle tu auras du malheur!
Mais le bon gaillard n'écouta pas. Il prit la
plume et continua sa route vers un autre royaume.
Il y arriva, et s'engagea au service d'un
ministre. Le tsar vit l'enfant adoptif, lui fit
louange de son adresse et de son agilité. Là où
il en fallait dix, il faisait tout seul. Le
ministre ajouta:
- Et savez-vous, Votre Altesse Royale, quelle
merveilleuse plume il possède?
Le tsar ordonna d'aller chercher la plume et de la lui
montrer. Il tomba en admiration devant cette
plume, et se prit d'affection pour le fils
adoptif. Il le prit auprès de lui et le fit
ministre. Et on mit le petit cheval dans les
écuries du tsar.
Mais voilà, les autres dignitaires ne
comprenaient pas pourquoi le tsar avait une
telle bienveillance pour lui. C'était un simple
serviteur, et il était soudain devenu ministre!
Le secrétaire du tsar passa à côté d'eux et leur
demanda:
- Mes frères, à quoi réfléchissez-vous? Si vous
voulez, je vous donne un conseil. Restez tous
ensemble, et baissez le nez. Le tsar va passer
près de vous et demandera: "Qu'est-ce qui vous
rend si pensifs? Avez-vous entendu parlé de
quelque adversité?". Alors vous, répondez: "Non,
Votre Majesté, nous n'avons rien entendu de mal,
mais nous avons seulement appris que votre jeune
ministre se fait fort de capturer l'oiseau à la
plume merveilleuse."
Et ils firent ainsi. Le tsar convoqua alors son jeune
ministre, lui dit ce qu'il avait entendu à son
sujet et lui ordonna de lui ramener l'oiseau. Le
bon gaillard, alla vers son petit cheval, tomba
à genoux devant lui et lui dit:
- J'ai promis au tsar de lui ramener cet oiseau.
- Voilà, je t'avais dit: "Ne prends pas cette
plume, ... il y aura du malheur!" Bon, ce n'est
pas encore un malheur, ce n'est qu'un petit
ennui. Va-voir le tsar, et dis-lui qu'on te
fasse une cage. Certaines de ses portes
s'ouvriront et les autres se fermeront. Et qu'il
y ait deux coffrets dans cette cage, l'un plein
de grosses perles et l'autre rempli de petites.
Le bon gaillard transmit cette demande au tsar, et tout
fut réalisé sur-le-champ.
- Bien - dit le petit bossu - maintenant nous
allons nous rendre vers cet arbre.
Le fils adoptif parvint à l'endroit indiqué. Il
installa la cage dans l'arbre et lui-même se
cacha dans l'herbe. L'oiseau arriva, il vit les
perles et pénétra dans la cage. Les portillons
se refermèrent sur lui. Le fils adoptif prit la
cage, l'apporta au tsar et la lui remit:
- Voilà, Majesté, l'oiseau à la plume
merveilleuse.
Le tsar le chérit encore plus. Et les dignitaires du
royaume le détestèrent, encore plus qu'avant.
Ils se réunirent et se mirent à chercher une
idée pour s'en débarrasser. Passa le secrétaire
du tsar qui leur dit:
- Si vous voulez, je vais vous donner un conseil.
Dans un instant le tsar passera à coté de vous,
il vous demandera: "A quelle idée
réfléchissez-vous? Avez-vous entendu parler de
quelque mauvaise chose?". Et vous, dites: "Nous
avons appris que votre jeune ministre prétend
dénicher en trois mois cette fiancée magnifique,
que votre Majesté recherche en mariage depuis
trente trois ans sans pouvoir y parvenir.
Le tsar écouta ces paroles, et éprouva une joie immense.
Aussitôt, il envoya chercher son jeune ministre,
et lui ordonna de lui amener sans faute cette
magnifique fiancée. Celui-ci en fit la promesse.
Et il alla voir le petit cheval bossu, se mit à
genoux devant lui, et lui demanda son aide. Le
petit bossu répondit:
- Je t'avais dit "Ne prends pas cette plume, ...
il y aura du malheur!" Bon, ce n'est pas encore
un malheur, ce n'est qu'un petit ennui. Va voir
le tsar, dis-lui qu'il ordonne de construire un
navire, de le recouvrir de velours rouge, de le
charger d'or et d'argent et de toutes sortes de
pierreries. Et il faudra que ce navire aille
aussi bien sur l'eau que sur la terre ferme.
Le fils adoptif transmit la demande au tsar, et
tout fut terminé en peu de temps. Il s'installa
sur le navire, et emporta le petit bossu avec
lui. Le navire traversa les terres et les mers
et, finalement, accosta dans le royaume de
Demoiselle-tsar.
A ce moment-là, Demoiselle-tsar s'apprêtait à se marier
avec un quelconque roi. Elle avait envoyé ses
gouvernantes et ses nourrices acheter ce qui lui
était nécessaire pour ses noces. Ses
gouvernantes et ses nourrices aperçurent le
navire. Elles accoururent vers Demoiselle-tsar
et lui annoncèrent que des marchandises venaient
d'arriver de lointaines contrées.
Demoiselle-tsar se rendit là-bas, monta dans le
bateau, et ne put détacher ses yeux des raretés
venues d'au-delà des mers...et elle ne remarqua
pas que, depuis un moment déjà, le bateau
repartait en l'emportant. Quand elle revint à
elle, c'était trop tard.
- Jusqu'à maintenant - se dit-t'elle - personne
n'avait jamais pu me tromper. Je n'avais jamais
connu personne de plus sage que moi. Mais voilà,
il s'est trouvé un tel roublard, qui a pu me
jouer un pareil tour!
On l'amena au tsar. Celui-ci se la destina comme épouse,
mais elle lui dit:
- Rapporte moi le coffre qui contient mes
parures, et alors je serai à toi!
Le tsar donna ses ordres à son jeune ministre. Celui-ci l'écouta,
alla voir le petit cheval et lui raconta
l'affaire. Le petit bossu dit:
- Va maintenant tout seul par cette route. Tu
auras une faim terrible, mais ce qui te tomberas
sous la main, tu ne dois pas le manger.
Le fils adoptif se mit en chemin. Il tomba sur une
écrevisse. Une faim violente s'empara du bon
gaillard :
- Et si je mangeais cette écrevisse!
L'écrevisse répondit:
- Ne me mange pas, bon gaillard! Dans peu de
temps, je te serai utile.
Il alla plus loin et trouva un brochet échoué
sur le sable.
- Et pourquoi pas manger ce brochet ?
- Ne me mange pas, bon gaillard! - lui dit le
brochet - Dans peu de temps, en personne, je te
serai utile.
Il s'approcha d'une rivière et regarda.
L'écrevisse portait des clefs, et le brochet
traînait un coffre. Il prit les clefs et le
coffre, et les apporta au tsar.
Alors Demoiselle-tsar dit:
- On a su m'apporter mon trousseau, sachez
ramener ici mes soixante-dix sept juments, qui
paissent par les vertes prairies au milieu des
montagnes de cristal.
Le tsar confia cette affaire à son jeune ministre et
celui-ci, à genoux devant son petit cheval, lui
fit ses demandes.
- Je t'avais dit "Ne prends pas cette plume, ...
il y aura du malheur!". - lui dit le petit bossu
- Bon, ce n'est pas encore un malheur, ce n'est
qu'un petit ennui. Va voir le tsar, dis-lui
qu'il ordonne de construire une écurie dont
certaines portes s'ouvrent et d'autres se
ferment. Ainsi fut-il demandé, ainsi fut-il
fait, au plus vite. Le bon gaillard se rendit à
cheval vers l'arbre où il avait trouvé autrefois
le petit cheval bossu, et il se cacha dans la
verdure. Les juments accoururent, elles burent,
mangèrent et se roulèrent dans l'herbe.
- Bon, - dit le petit cheval - monte vite sur
moi, et éperonne tant que tu peux, pour que je
galope de toutes mes forces et que les juments
ne nous dévorent pas.
Le petit cheval bondit avec le bon gaillard sur le dos et
il galopa de tout son souffle. Il galopa un peu,
il galopa longtemps, et pénétra comme une flèche
tout droit dans l'écurie avec les juments à ses
trousses. Dès qu'il en sortit par l'autre côté,
les portes claquèrent. Et les juments restèrent
enfermées dans l'écurie.
On fit le rapport au tsar. Il alla annoncer la
nouvelle à Demoiselle-tsar, mais celle-ci
répondit:
- Je me marierai avec toi, quand on aura trait
toutes les soixante-dix sept juments!
Le tsar donna ses ordres au jeune ministre. Celui-ci se
rendit une nouvelle fois auprès du petit cheval
bossu, et, en larmes, il implora son aide:
- Va voir le tsar, et dis-lui qu'il ordonne de
fabriquer un chaudron qui puisse contenir
soixante-dix sept seaux.
On construisit le chaudron. Le petit cheval dit
à son maître:
- Enlève ma bride, va faire le tour de l'écurie,
ensuite mets-toi sans crainte sous chaque jument,
trais-lui un seau de lait et verse-le dans le
chaudron.
Le bon gaillard fit ainsi.
On informa le tsar que le lait des juments était
trait. Celui-ci se rendit auprès de
Demoiselle-tsar qui répondit:
- Ordonne de faire bouillir ce lait, et
baigne-toi dedans.
Le tsar fit appeler son jeune ministre et il lui ordonna
de prendre le bain en premier. Le bon gaillard
versa des larmes amères. Il alla vers le petit
bossu et tomba à genoux:
- Maintenant, ma fin est arrivée.
Et le petit cheval en réponse:
- Je t'avais dit: "Ne touche pas à cette plume,
... il y aura du malheur". Et voilà, c'est
arrivé! Bon, rien à faire, il faut te tirer
d'embarras. Monte sur moi, allons au lac,
cueille la même herbe que les juments mangent,
fais-en une décoction et barbouille-toi de la
tête aux pieds.
Le bon gaillard fit tout ce que lui avait ordonné le petit
bossu. Puis, il revint, se jeta dans le lait
bouillant, nagea au milieu du chaudron, prit son
bain... cela ne lui faisait rien.
Demoiselle-tsar ordonna de réchauffer le lait.
Lorsque le lait se remit à bouillir, le petit
cheval plein d'entrain se précipita vers le
chaudron , par trois fois il but, et il bouscula
le bon gaillard. En sortant de son bain de lait
brûlant, celui-ci était devenu un homme superbe,
d'une telle beauté qu'on ne peut ni la raconter
dans un conte, ni la décrire de sa plume. Le
tsar vit que son ministre était sain et sauf, il
prit son courage à deux mains et se jeta
lui-même dans le chaudron... et à la minute même,
il fut cuit.
Demoiselle-tsar sortit de ses appartements prit le bon
gaillard par la main et dit:
- Je sais tout. Ce n'est pas le tsar, mais toi
qui as fait mes volontés. Je me marierai avec
toi!
Et le lendemain, ils firent des noces mémorables.
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